Nous continuons notre chronique sur l’Histoire des Chemins de Compostelle et en particulier du Chemin Français par une étude du Royaume Wisigoth et la fin de l’empire Romain dans le Nord de l’Espagne.
Un chef-d’oeuvre Wisigoth au début du Chemin Français
Le Camino Francés, qui empruntait la voie romaine reliant Astorga à Bordeaux a été malheureusement dévié entre Navarette et Nájera. Il ne traverse plus Tricio, désormais petite bourgade de la banlieue sud-est de Nájera.
Pourtant Tricio le Grand, Tritium Magallum, importante ville romaine qui hébergea un détachement de la légion, réputée dans tout l’empire pour la qualité de ses céramiques « sigillée terra » abrite encore dans sa campagne un véritable bijou, témoin du déclin de l’empire romain, l’église à plan basilical de Santa Maria de Arcos, un des monuments chrétiens les plus anciens d’Espagne.
Ce détour est de 3 kilomètres, sans doute, vous ne pourrez le faire. Qu’importe, cette église de culte arien illustre à merveille mon propos sur la chute de l’empire romain d’Occident, les invasions barbares, le royaume wisigoth, les tentatives de l’Empereur Justinien de le restaurer qui furent contrées par cette terrible peste qui décima l’Europe, le pourtour méditerranéen et l’Empire Sassanide (Perse). Cette pandémie, qui sévit de 541 à 767 participe à expliquer la fulgurante expansion de l’Islam, la conquête par les musulmans du royaume wisigoth de Tolède qui avait assimilé l’héritage romain.
Ermita de los Arcos de Tricio, église wisigothe, probablement de culte arien
A l’origine, c’était un mausolée romain du IIIe siècle, transformé en basilique chrétienne au Ve siècle, fortement modifiée par une restructuration au XVIIIe siècle.
La structure de la basilique est traditionnelle : plan longitudinal à trois nefs et chevet quadrangulaire. Les arcades qui séparent les nefs latérales de la nef centrale s’appuient sur des colonnes corinthiennes datées du IIe siècle, réutilisation probable de colonnes romaines issues de l’ancienne cité romaine, Tritium Megallum. Les arcs, en pierre de tuffeau, fin du VIe sont wisigoths. Des sarcophages romains du Ier au IIIe s. de notre ère, des tombes paléochrétiennes des Ve et VIe siècles ont été découvertes dans le sous-sol . Au chevet, des restes de peintures romanes de la fin du XIIe siècle recouvrent des fresques paléochrétiennes du Ve siècle.
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L’intérieur de la basilique fut recouvert au XVIIIe siècle de motifs en plâtre de style baroque. Le mausolée est situé dans le presbytère actuel.
Les fouilles archéologiques menées dans la basilique de Santa Maria de los Arcos confirmeraient l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’une construction wisigothe de la première moitié du VIe siècle et, donc dédiée au culte Arien, peut-être la dernière église construite pour ce culte.
L’arianisme, religion des Goths
L’arianisme, religion des Goths – du nom d’Arius, prêtre d’Alexandrie au début du IVe siècle, considéré comme hérésie au concile de Nicée.
Tandis qu’en 312, l’empereur Constantin1er, au départ adepte de Sol invictus (le Soleil Invaincu), se convertit au christianisme et proclame la liberté de ce culte par l’édit de Milan de 313, un prêtre d’Alexandrie, Arius, prêche une doctrine hétérodoxe qui se répandit très vite, principalement en Orient. Le principe fondamental de l’arianisme était la non-divinité du Christ, qui aurait été créé inférieur au Père, mais supérieur aux humains. Craignant un schisme, Constantin convoque le 20 mai 325 un concile œcuménique (ou universel) à Nicée (aujourd’hui Izniken en Turquie) qui rejeta l’arianisme.
Il fut dès lors qualifié d’hérésie par les chrétiens trinitaires (ou nicéens): les évêques présents signèrent un «symbole» (un accord) comportant le credo encore en usage aujourd’hui dans les Églises catholiques. Mais les controverses se prolongèrent… L’empereur, lui-même se serait fait baptiser selon le culte arien sur son lit de mort en 337. Constance II, son fils, fit de l’arianisme la religion officielle de l’État…
La défaite de l’armée romaine, face aux Wisigoths convertis à l’arianisme depuis 341 et la mort du co-empereur Valens, arien convaincu, le 9 août 378 à la bataille d’Andrinople (aujourd’hui Edirne, en Turquie), est un véritable choc pour les Romains, signe d’un funeste avenir pour l’empire. La doctrine de Nicée est rétablie, l’arianisme restera la religion des Ostrogoths, Wisigoths, Vandales, Burgondes jusqu’ aux VIe, VIIe siècles, voire VIIIe chez les Lombards.
Les Goths et les invasions barbares de la nuit du 31 décembre 406
Les Goths étaient une population germanique probablement originaire de la Baltique et du Sud de la Suède, descendue au cours du IIe siècle le long de la Vistule. Au IIIe siècle, ils se sont fixés dans les steppes de la mer Noire. Un premier affrontement avec l’Empire romain dans le sud-est de l’Europe, les séparent en deux groupes : les Ostrogoths à l’est et les Wisigoths à l’ouest. Au contact de l’Empire, les Goths se convertissent au christianisme adoptant l’arianisme.
L’arrivée des Huns venus d’Asie centrale les contraignent vers 375 à demander asile dans l’Empire.
Les Ostrogoths en tant que fœderati (« fédérés » liés par un traité les obligeant à fournir des mercenaires à l’armée romaine) rejoignent l’Empire d’Orient. En 488, sous la conduite de Théodoric le Grand, ils conquièrent l’Italie. Les troupes de l’empereur byzantin Justinien mettra fin au royaume Ostrogoth d’Italie en 550.
Les Wisigoths se réfugièrent en Thrace et Mésie – actuelle Bulgarie.
En 378, une famine éclate, les Wisigoths se rebellent. Victorieux de la bataille d’Andrinopole contre l’armée romaine de Valens, ils prennent les Balkans, puis se tourne vers l’Italie : Rome qu’ils pillent en 410. IIs entrent en 412 dans une Gaule ravagée par les invasions des années 407/409 et s’emparent de Narbonne. En 416, à la solde de Rome, ils vont en Espagne, combattre d’autres barbares qui menacent l’Hispanie : les Vandales, les Alains et les Suèves.
Le Royaume Suève
Dans la nuit du 31 décembre 406, le gel du Rhin aurait permis à des hordes de peuples barbares, Vandales, Suèves, Burgondes et Alains de déferler dans l’empire romain. Les Burgondes et certains clans Alains s’établissent en Gaule, les Vandales et des Alains repoussés de la péninsule ibérique par les Wisigoths s’installent en Afrique du Nord, où ils fondent en 429 un royaume vandale qui disparaitra après la reconquête byzantine de la région en 534.
Les Suèves sont cantonnés, au nord-ouest de la péninsule, l’actuelle Galice et le nord du Portugal. Leur royaume est reconnu par Rome au travers d’un foedus, Bracara Augusta (Braga) est sa capitale. En 448 le roi suève Réchiaire se convertit au christianisme (nicéens), le royaume perdure de 410 à 584, année de son effondrement devant l’armée du roi wisigoth Léovigild.
Le changement climatique de 535-536, la peste de Justinien et ses conséquences sur l’Empire Romain
Le changement climatique de 535-536
L’état romain de 27 av J-C à 476 après J-C englobait un territoire allant de la Maurétanie (Maroc) à la Mésopotamie, de l’Egypte à la Britannie (Angleterre). En 395, il est définitivement divisé en deux entités : l’Empire romain d’Orient (pars orientalis) et l’Empire romain d’Occident (pars occidentalis)
L’Empire d’Occident s’éteint en 476 au profit des royaumes germaniques, mais l’Empire romain persistera jusqu’en 1453 en Orient autour de sa capitale Constantinople.
Justinien (empereur Byzantin de 527 jusqu’à sa mort en 565) tenta de restaurer l’empire : il vainquit les Vandales en Afrique du Nord mais ses troupes frappées par la peste dite de Justinien ne purent réunifier l’Italie. La peste sévit de 541 à 767 dans tout le bassin Méditerranéen, elle débute en Egypte atteint Byzance en 542 où elle aurait fait plus de 10000 morts par jour.
En 549, Grégoire de Tours décrit Arles «dépeuplée», puis de Clermont en 567, il note qu’un «certain dimanche, on compta 300 cadavres dans la cathédrale» Elle affaiblit l’Empire byzantin sur le point de reconquérir l’Empire romain , mais aussi L’Empire sassanide (Perse), dépeuplant ces régions, cette pandémie participe à expliquer la fulgurante expansion de l’Islam, et en 711, la chute du royaume wisigoth qui, dans les vingt-cinq années précédentes, avait perdu plus du tiers de sa population.
La peste de Justinien et le refroidissement de 535
Les chroniqueurs contemporains de cet événement climatologique majeur, de Tokyo au Pérou, en passant par la Scandinavie notent des températures très basses, un brouillard dense, l’absence de récolte. L’Empereur du Japon dans les années 537 publie un édit rappelant l’importance de la nourriture: «1000 perles ne peuvent soulager celui qui souffre du froid ».
De nos jours, les recherches scientifiques confirment l’importance de ce qui est maintenant considéré comme l’événement climatique le plus grave de ces derniers millénaires.
Deux thèses s’opposent pour expliquer ce phénomène : une éruption volcanique, ou la chute d’une météorite. Quoiqu’il en soit tous s’accordent à penser que les années de disette qui s’en suivirent favorisèrent la pandémie.
Le royaume wisigoth de Tolède (507-711), héritier romain ?
En 418, ils obtiennent le sud-ouest de la Gaule, ils y fondent en tant que fédérés le royaume d’Aquitaine avec Toulouse pour capitale.
En 451, encouragés par l’audace de leur roi, ils permettent aux forces du patrice romain Aetius à la Bataille des champs Catalauniques (Châlons-en-Champagne) de vaincre Attilla et de bouter les Huns hors de l’Occident.
Ils conquièrent le centre de la Gaule, l’Auvergne, la Provence et une partie de la péninsule ibérique. A son apogée, le royaume wisigoth de Toulouse s’étend de Gibraltar à la Loire, de l’Atlantique aux Alpes du Sud.
Mais les divisions entre Wisigoths ariens et Romains catholiques empêchaient toute cohésion. En 507, vaincus par les troupes du roi franc Clovis, converti au catholicisme, ils se replient en Espagne grâce au roi ostrogoth d’Italie, ne conservant que la Septimanie (Languedoc) et la Provence au nord des Pyrénées.
Après Barcelone, Mérida, Tolède devient leur capitale.
Ils y soumettent les Basques (578), détruisent le royaume Suève (585).
Leur conversion au catholicisme en 589, la promulgation d’un code qui établit une même loi pour tous autorisant les mariages mixtes, le service militaire, entraînent une fusion au milieu des Hispano-Romains. L’assimilation de l’héritage romain par les conquérants Goths permet l’émergence d’un fort sentiment national : le souvenir de ce brillant royaume détruit en 711 par les musulmans sera le moteur du mouvement de reconquête de la fin du XIe siècle.
Dans l’Histoire des Goths, Isidore de Séville (vers 560-636) célèbre les noces de la patrie hispanique et de la force gothique: la civilisation romaine affaiblie est régénérée par la vitalité des Goths
« Toutes les terres qui s’étendent de l’Occident jusqu’à l’Inde, tu es la plus belle, ô sainte et heureuse Espagne, mère des nations, toi qui illumines non seulement l’Océan, mais aussi l’Orient. Tu es l’honneur et l’ornement du monde, toi, la part la plus illustre de la terre, où fleurit la gloire féconde du peuple Goth. »
Source
Michel Zimmermann : clio.fr/BIBLIOTHEQUE/l_espagne_wisigothique.asp
Wikipédia fr.wikipedia.org/wiki/Wisigoths
Pour visiter l’église contacter l’association à ce lien
Tel: 941.36.30.28 et 941.36.16.57
GPS 42º 24′ 7.480″N2º 42′ 39.599″W
En venant de Navarette, prenez la LR-427, faîtes très attention en traversant la N120, c’est une route réputée très dangereuse, continuez sur la LR-136 pendant un kilomètre, l’église se trouve sur votre droite à 500 mètres du centre de Tricio.
NB : Vu l’importance des sites à visiter à l’étape suivante Najéra, je ne puis conseiller ce détour de 3 km qu’aux amateurs de site paléochrétien ou si vous comptez rester plus d’une nuit dans la région.